Décanter « l’effet Trump » sur l’industrie des vins & spiritueux

17 Fév, 2025

Les intentions de Trump en matière de tarifs sont scrutées depuis des mois, suscitant l’inquiétude – voire la panique – de tous ceux qui font des affaires avec les États-Unis. Une belle façon de commencer 2025 !

Donald Trump a été élu Président des États-Unis et vient de faire son retour à Washington le 20 janvier. Il a annoncé des hausses tarifaires sur les biens et services importés de plusieurs pays. Naturellement, l’industrie des vins & spiritueux est en alerte, les pays européens redoutant une répétition des hausses tarifaires catastrophiques de 2019 et de leur impact dévastateur sur les exportations de vin.

Fin novembre 2024, Trump a annoncé un droit de douane de 25 % sur les produits mexicains et canadiens, invoquant des préoccupations liées à l’immigration et au trafic de drogue. Il a également imposé une hausse de 10 % sur les importations chinoises, en plus des tarifs existants et des éventuelles hausses futures. Si ses plans pour d’autres produits et pays restent flous, la question n’est plus de savoir si les droits de douane vont augmenter, mais plutôt comment l’industrie des vins & spiritueux peut s’adapter à un climat économique et politique instable, probablement marqué par une fiscalité accrue.

Petit retour en arrière : en 2019, l’administration Trump avait instauré des droits de douane de 25 % sur les produits européens, ciblant notamment les vins tranquilles (non effervescents) de France, d’Espagne, d’Allemagne et du Royaume-Uni, à la suite d’une décision de l’OMC contre les subventions européennes à Airbus. L’impact fut immédiat et sévère : les exportations françaises vers les États-Unis chutèrent de 17,5 % au 4e trimestre, entraînant une perte d’environ 40 millions d’euros. En 2020, les droits de douane furent élargis à davantage de vins et spiritueux européens. Résultat : les exportateurs français subirent une perte de 600 millions d’euros, les exportations vers les États-Unis étant réduites de moitié.

En 2021, l’administration Biden et l’Union européenne ont suspendu ces droits de douane pour cinq ans, mettant fin au différend Airbus-Boeing et améliorant les relations commerciales.

En 2025, les États-Unis restent l’un des plus gros consommateurs de vin au monde, avec une demande constante pour les vins importés. Les consommateurs américains sont de plus en plus curieux et prêts à découvrir des produits au-delà de l’offre locale — une tendance qui ne devrait pas faiblir. Alors que la demande évolue, les fournisseurs doivent s’adapter aux nouveaux profils d’acheteurs.

Ian Downey, vice-président exécutif de Winebow Imports, note que « peu d’importateurs peuvent absorber les droits de douane à court terme, ce qui entraîne une hausse des prix en rayon et potentiellement une baisse des ventes ». Pour affronter cette incertitude politique, il souligne « l’importance de combiner anticipation, planification de scénarios, patience et action réfléchie ».

Sean Kelly, vice-président exécutif de ABC Fine Wine & Spirits, partage cette vision : « ABC s’adapte en renégociant les prix fournisseurs, ajustant les quantités commandées et en mettant l’accent sur les marques cœur à prix compétitif ». Il ajoute : « Les distributeurs devraient adapter leur mix produits importés tout en essayant de maintenir des prix accessibles pour les consommateurs aussi longtemps que possible. »

Les droits de douane comme levier dans les négociations commerciales

Au cœur de l’agenda « America First » de Trump, les droits de douane sont à la fois un outil de protection pour les industries américaines et une arme de négociation dans les différends commerciaux avec l’UE. En imposant ou menaçant de nouveaux tarifs, les États-Unis cherchent à obtenir des concessions européennes sur les subventions, l’accès au marché ou les réglementations.

Les États-Unis critiquent de longue date l’Europe pour ses marchés fermés aux produits américains, notamment agricoles ou numériques. Des tarifs plus élevés pourraient pousser l’UE à lever certaines barrières ou réduire ses droits sur les exportations américaines. L’un des dossiers sensibles est la taxe européenne sur les services numériques (DST), qui impacte lourdement les géants américains comme Google ou Facebook. Alors que les tarifs de 2019 visaient Airbus, les hausses à venir pourraient toucher ces domaines plus larges.

Trump a nommé Jamieson Greer comme représentant au commerce, signe d’un retour à une politique commerciale agressive. Benjamin Aneff, président de l’U.S. Wine Trade Alliance (USWTA), anticipe que les sanctions viseront certains pays européens, plutôt que l’ensemble du bloc.

Et si l’on changeait de perspective ?

Il est facile de se concentrer sur les difficultés imposées aux pays exportateurs, mais les effets sur les États-Unis sont souvent ignorés. L’USWTA, qui représente tous les acteurs de la filière, souligne que les droits de douane pénalisent surtout les petites entreprises américaines. Importateurs, distributeurs, restaurants familiaux — tous dépendent du vin européen et voient leurs coûts et marges affectés.

Aneff affirme : « De nouveaux droits de douane nuiraient davantage aux entreprises américaines qu’aux producteurs étrangers. » Il insiste sur la nécessité de sensibiliser le Congrès, car le gouvernement fédéral ne régule pas directement le système de distribution en trois niveaux spécifique aux boissons alcoolisées.

Olivier Picault, propriétaire de Planet Wine (Californie), reconnaît que les droits de douane sont un défi, mais que son entreprise a appris à s’adapter depuis 2019. Importateur à 95 % de vins français, Planet Wine a commencé à renégocier les prix fournisseurs dès fin 2024 pour rester compétitif. L’entreprise informe également ses clients, notamment les cavistes, sur les implications tarifaires à venir.

Planet Wine se diversifie en collaborant avec des producteurs américains et en valorisant ses stocks pour réduire sa dépendance aux importations. Picault estime cependant que la baisse de consommation de vin est un problème encore plus grave que les droits de douane. Pour y répondre, l’entreprise investit dans les catégories émergentes comme les vins à faible ou sans alcool.

Alors que SipSource rapporte une baisse de 5,2 % des volumes de vin, les importateurs américains comme Winebow Imports optent pour des stratégies équilibrées pour limiter les pertes. Ils misent sur les produits compétitifs issus de régions affectées par les droits de douane, tout en se concentrant sur les vins haut de gamme moins sensibles aux hausses de prix. Ian Downey insiste sur l’importance de « la collaboration entre tous les acteurs du secteur pour minimiser les répercussions sur les consommateurs », ajoutant que pour la santé de l’industrie, il est essentiel d’éviter une spirale de “consommation au rabais”.

Les droits de douane ne freineront pas l’industrie des vins & spiritueux – il est temps de réécrire les règles

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, plus les pays exportateurs se plaignent, plus la position de Trump se renforce. Son objectif réel est sans doute ailleurs, dans des enjeux commerciaux bien plus larges que le vin.

La clé réside dans la réinvention. Explorer de nouvelles opportunités, comprendre que les discussions commerciales dépassent les simples exportations de vin. L’industrie doit s’adapter, se diversifier et faire preuve de créativité. Des actions collectives, une gestion des stocks optimisée et des innovations (comme des produits axés sur le bien-être) sont des leviers essentiels.

Il y a de l’espoir, comme le souligne Sean Kelly : « Le comportement des consommateurs est fortement influencé par des tendances comme le bien-être, l’innovation et les nouvelles catégories. » La survie passera par l’adaptabilité et la collaboration.

Article publié dans le magazine Voice : Visiter

 

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